Podcast de Gilles Schacherer sur les intelligences collectives

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Podcast Les intelligences collectives n°1

J’ai eu la chance et l’honneur d’inaugurer le podcast « Les intelligences collectives » initié par Sophie Frantz et qui compte aujourd’hui plusieurs dizaines de numéro. Voici la retranscription écrite de cet interview

Sophie
Je m’appelle Sophie Franz. J’intègre des méthodes d’intelligence collective dans mon quotidien professionnel depuis trois ans environ. Et je me pose toujours et encore des milliers de questions sur cette notion.
De quoi parle t-on vraiment ? À quoi sert-elle ? Comment la faire vivre ? N’est ce qu’une mode ? Quelles sont ses limites ?
Je suis persuadée que cette manière de travailler et vivre fait partie des solutions pour construire le monde de demain.
Avec ce podcast, je souhaite vous entrainer à la découverte de toutes ces intelligences collectives.
Pour ce premier épisode de podcast, j’ai eu la chance d’avoir comme invité Gilles Schacherer, auteur du livre « Le Codéveloppement Professionnel – Le Guide du Facilitateur ».
Commercial, banquier, chef d’entreprise et aujourd’hui facilitateur d’intelligence collective, Gilles a une vision pratico-pratique de l’intelligence collective. J’ai passé un super moment. J’ai adoré discuter avec lui de l’importance de la confiance donnée a priori, qui libère et permet de faire bouger les équipes. De l’intérêt de travailler en pyramide inversée pour permettre l’engagement des équipes. De solitude aussi, de sa vision très tranchée sur le rôle et l’importance du facilitateur professionnel.
À la fin de l’interview surprise, Gilles nous partage même son projet de second livre qui me paraît passionnant.
J’espère que comme moi, vous allez découvrir de nouveaux outils et perspectives pour amener toujours un peu plus d’intelligence collective dans vos quotidiens.
Mais avant de commencer, une rapide explication du terme « Codéveloppement ». Sachez que le Codéveloppement est une technique, parmi d’autres, de facilitation, c’est à dire d’animation de l’intelligence collective. Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, il faut imaginer une dizaine de personnes en cercle dans une salle, prêts à suivre pendant plus de deux heures différentes étapes de réflexion, introspection, discussion qui permettront ensemble d’aider une personne choisie dans le groupe. Dans la description de ce podcast, vous trouverez un lien plus précis sur le déroulement d’une séance de Codéveloppement. En attendant, je vous laisse plutôt en compagnie de Gilles pour comprendre l’intérêt de travailler ou plutôt évoluer dans ces conditions.

Bonjour Gilles. Je suis super contente de t’avoir avec moi aujourd’hui. Comme je le disais, c’est le premier podcast, le premier invité, donc je suis vraiment contente. Est ce que tu peux nous parler de ton parcours professionnel et nous dire comment tu es arrivé aujourd’hui à ce profil de facilitateur ?

Gilles
Bonjour Sophie. Oui, j’ai suivi un parcours, je ne sais pas s’il est classique parce qu’en vrai, il ne l’est pas tellement. En fait, j’ai démarré ma carrière dans la branche commerciale d’une partie de l’industrie pharmaceutique. J’ai poursuivi ma carrière dans le commerce en oubliant la génétique et la biochimie. Pour arriver un jour dans le monde de la finance, j’y ai passé un peu plus de 20 ans. Arrivé 2007, 2008, période qui n’a pas été très facile pour ce monde là. J’en suis sorti pour monter une entreprise dans l’événementiel ce qui n’avait encore rien à voir. Entreprise que j’ai revendue pour faire un truc encore un peu bizarre, qui était d’aller m’installer en Martinique, parce que j’avais envie d’aller vivre un truc comme ça. Je suis donc parti en Martinique, et là-bas, un peu par accident, assez tôt d’ailleurs en arrivant, par des rencontres, j’ai été amené à devenir consultant et formateur, ce que j’ai fait pendant pas loin de trois ans là bas. Je suis revenu en métropole fin 2014 et mon besoin fondamental, par rapport à mon métier de consultant formateur, c’est que je sentais fortement ce besoin de me former sur les techniques collectives.

Sophie
D’accord, parce que consultant formateur, c’était plus en management ?

Gilles
Quel domaine ? Voilà, plus management, conseil de comité de direction, etc. Mais en fait, je manquais d’outils autour du collectif. La première chose que j’ai fait en revenant en métropole, c’est que je me suis formé à différentes techniques d’intelligence collective. C’est comme ça un peu que je suis rentré dans ce monde là. Ma première formation a d’ailleurs été une formation en Codéveloppement avec Fabien Rodhain de la Codéveloppement Académy. Après, j’en ai fait pas mal d’autres et je continue d’ailleurs. Et donc, petit à petit, en revenant à Métropole, mon métier a basculé du conseil classique ou de la formation que je continue un petit peu à faire, mais à plutôt des actions d’accompagnement avec les outils d’intelligence collective.

Sophie
Ok, super. Tu es connu, alors, j’ai eu la chance de participer à un cercle de Codéveloppement solidaire en ligne qui était vraiment riche pour moi, avec beaucoup d’apprentissage. Et suite à ce cercle, j’ai acheté votre livre d’ailleurs, qui s’appelle Le Guide Développement Professionnel, que j’ai trouvé vraiment bien écrit, super intéressant au niveau des techniques. Et aussi, j’ai beaucoup aimé la fin sur les réflexions que vous meniez autour du Codéveloppement.

Gilles
C’est le premier guide du facilitateur. On l’a fait en deux parties, une partie qui est vraiment un guide de la facilitation et une partie qui est une ouverture un peu plus large autour du.Codéveloppement.

Sophie
Moi, j’ai trouvé ça super intéressant. L’objet du podcast, c’est de comprendre quand est ce qu’on peut mettre en place ces cercles de Codéveloppement. Qu’est ce que ça apporte ? Qu’est ce que tu as vu comme bénéfice dans tes missions un peu concrètes que tu as menées ? C’est vrai que ce n’est pas un podcast de formation. J’invite tous ceux qui nous écoutent ou à acheter le livre ou à regarder. Le Codéveloppement c’est très structuré en sept étapes. Du coup, il y a vraiment des règles, je ne sais pas si on peut dire des règles, mais des process. On ne va pas forcément tous les énumérer ici, mais c’est quelque chose qui est très structuré. Est ce que tu as des exemples de missions assez précises, des apports plutôt sur l’aspect Codéveloppement, si tu en as en tête, de choses que tu as faites dans des entreprises ou associations ? Justement, l’idée, c’est vraiment de creuser avec toi l’avant et l’après.

Gilles
Le Codéveloppement, c’est une technique vraiment intéressante qui a aussi des limites. Je vais tout de suite poser les limites. La limite, c’est clairement la taille du groupe. C’est très difficile d’envisager du Codéveloppement sur des groupes au-delà de 10 personnes où ce serait assez compliqué. Les utilisations sont extrêmement variées. Par exemple, on va pouvoir l’utiliser en appui de formation. Par exemple, des gens ont eu une formation et une fois que ces inputs de formation sont faits, on va utiliser quelques séances de Codéveloppement où ils vont s’apprendre entre eux et donc consolider ainsi ce qu’ils ont appris en formation, mais sans l’intervention d’un formateur. C’est eux mêmes, par rapport à leurs vécus, leurs propres expériences, qui vont s’apprendrent entre eux dans les séances.

Sophie
C’est un groupe de pairs sur une thématique ?

Gilles
Voilà. Ce sont souvent des groupes de pairs. Par exemple, dans une entreprise industrielle, on peut avoir des groupes de chefs de projet ou des groupes de managers. Ils ne managent pas forcément les mêmes services, mais au sein d’un groupe de managers, ils ont des problèmes de managers et donc ils ont des choses à faire ensemble. Mais ça peut être aussi dans des configurations extrêmement variées. Très récemment, on a mené une mission à plusieurs Codéveloppeurs, dans un gros groupe informatique qui avait racheté des entreprises dans les deux dernières années, qui étaient toutes dans le même domaine qui était le conseil, le consulting informatique. Sauf qu’il n’y avait pas de lien construit entre ces entreprises qui avaient été rachetées par ce groupe. Donc, le Codéveloppement nous a servi à créer du lien, travailler ensemble, faire connaissance, commencer à faire circuler de l’énergie entre toutes ces entités-là. Ça a été comme une espèce de déclencheur. D’ailleurs, maintenant, ça continue, mais cette fois ci plus sur des formats de Codéveloppement, mais liés à leur activité. Là, on l’avait utilisé pour faire du lien. Le Codéveloppement, ça s’utilise vraiment pour plein de choses.

Sophie
Je sais que justement, le but du Codéveloppement n’est pas de rechercher une solution mais comment est-ce que tu le promeus. Quand on vient de te dire, qu’un manager a un problème, est ce que le Codéveloppement, justement, c’est le bon outil ? Comment tu le perçois cette recherche de solution ?

Gilles
Dans un groupe de managers, par exemple, on va traiter un problème d’un manager. Un sujet qui est amené par un des managers du groupe et un seul. Ça peut paraître frustrant qu’il y en ait un seul qui soit « servi », mais la façon de travailler en Codéveloppement va apporter plein de solutions, etc. Et avec des effets rebonds, tout le monde va trouver des clés pour lui dans le groupe. Déjà, les gens vont trouver des clés sur la façon de fonctionner. Ce qui continue de m’étonner et c’est extrêmement étonnant, c’est que souvent, le premier feedback qui est fait par les participants, c’est « on n’est pas tout seul. » et ça paraît surprenant. Et des fois, ils sont dans des entreprises de 60 000 personnes, donc on n’a pas l’impression qu’ils sont isolés. Et pourtant, ils se sentent incroyablement seuls. Là, dans les groupes de Codéveloppement, ils découvrent qu’ils ont des pairs à côté et qu’ils ne sont pas tout seuls, qu’il y a des tas de problématiques qu’ils peuvent partager, sur lesquelles ils peuvent avancer ensemble. Et puis, naturellement, comme je le disais, ces apports de solution des uns ou des autres servent au final à tout le monde.
Et puis, le troisième niveau, c’est que par le Codéveloppement, indirectement, on apprend des postures, des façons d’être. Par exemple, il y a une phase qui n’arrive jamais dans la vie : dans le Codéveloppement, c’est qu’il y a une phase de questionnement d’une problématique où on n’autorise que la compréhension, le questionnement pour comprendre et pas le questionnement pour proposer une solution ou un truc comme ça. Juste questionner pour comprendre. Ça, ça n’arrive jamais dans la vie. Et tout à coup, par exemple, les managers comprennent que s’ils investissaient de l’énergie dans la compréhension, ils n’auraient peut-être pas tellement besoin de trouver les solutions et de « boucher les trous » partout toute la journée, mais simplement d’aider leurs collaborateurs à comprendre les situations. Et souvent, les collaborateurs, ont plein d’énergie, plein d’idées pour trouver eux-mêmes les solutions.

Sophie
Moi, j’ai participé à plusieurs cercles de Codéveloppement et en effet, je trouve cette phase, elle est difficile. Est ce que ce n’est pas une posture qui est naturelle ? Est ce qu’on n’est pas habitué à questionner pour comprendre ? Comment tu facilites ça ? Qu’est ce que tu leur dis pour qu’on rentre dans cette posture ?

Gilles
En fait, il n’y a que la pratique qui va aider. Le Codéveloppement, c’est un cycle. C’est à dire que si, par exemple, on a un groupe de huit codéveloppeurs qui se constitue dans une entreprise, on va voir ce groupe sur autant de séances qu’il y a de personnes. Et donc, il y a aussi un apprentissage long qui va se faire. C’est à dire que oui, bien sûr, la première séance, c’est un peu difficile. Parfois, certains sont un peu frustrés parce que ce n’est pas une discussion comme ils en ont l’habitude, etc. Mais petit à petit, de séances en séances, ils occupent ces postures de plus en plus et ils en découvrent toute la richesse et tout l’intérêt. Et ça devient de plus en plus aisé, facile et profond.

Sophie
D’accord. Et c’est l’intérêt aussi d’avoir le facilitateur. Je dis ça, moi, je participe à des masterminds d’entrepreneurs où justement, on se retrouve toutes les semaines pour s’entraider. Mais il n’y a pas de facilitateur et c’est vrai que certains ont peut être tendance à rester dans la posture de questionner pour trouver la solution plutôt que comprendre. J’imagine que votre rôle à vous, le facilitateur, c’est vraiment d’arriver à cette modification de posture.

Gilles
J’ai des avis très tranchés sur la question. 90 % des techniques d’intelligence que je connais à ce jour ne peuvent valablement se pratiquer qu’avec un facilitateur. Parce que la posture du facilitateur est extrêmement spécifique. Il n’a pas la même position ou la même posture que les autres. On dit qu’il est en posture basse sur le contenu et c’est très compliqué d’être à la fois acteur et d’être en posture basse sur le contenu. Très compliqué. Si je suis un manager dans une entreprise, dans un groupe de managers, ça va être compliqué pour moi de me mettre dans ce retrait là et par contre d’être très vigilant au fonctionnement. Voilà une des raisons. Et la deuxième, c’est les techniques d’intelligence collective, souvent, ça fouille un peu profondément les personnes et donc il y a des questions de sécurité qui sont extrêmement importantes et donc d’avoir un facilitateur sérieusement formé. Quand je dis sérieusement formé, c’est qu’il y a trop de facilitateurs à mon goût qui ont juste lu un livre et qui pensent qu’ils sont facilitateurs. On peut dire que oui, bien sûr, je défends ma profession et mon business. Il n’y a pas que ça là dedans.
C’est beaucoup plus profond que ça. Pour moi, le facilitateur, c’est un rôle fondamental dans l’intelligence collective.

Sophie
Je pense que c’est important pour rebondir aussi sur le mastermind. Je pense que s’il n’y a pas ce facilitateur, la posture, elle met plus longtemps ou elle ne change pas du tout, je ne sais pas

Gilles
Comme beaucoup de choses, ça ne s’improvise pas à l’intelligence collective. Souvent, on entend et tout à l’heure, on a eu une petite discussion tous les deux où tu as dit « C’est à la mode. » Oui, c’est sûr que c’est à la mode. Après, la mode, elle amène des travers. Le travers, c’est parce que c’est à la mode, alors on improvise de l’intelligence collective vite fait et parfois, ça fait plus de dégâts que de bien.

Sophie
C’est vrai que je disais que le but, c’est vraiment de comprendre un peu plus loin, d’aller plus loin avec toi, avec d’autres personnes et d’essayer de comprendre ce qu’il y a derrière cette mode. J’ai dit « mode » parce que je pense que c’est en effet aujourd’hui un mot qui est un peu galvaudé, où beaucoup l’utilisent. « Je fais une réunion et je fais de l’intelligence collective » et alors, normalement, en creusant avec vous, avec d’autres, je pense qu’on va voir que c’est beaucoup plus que ça..

Gilles
En même temps, ce n’est pas étonnant que ce soit à la mode. C’est à la mode pour une raison assez simple, c’est que la complexité du monde est ressentie par tout le monde et les gens sentent bien qu’avec les outils classiques d’organisation ou de fonctionnement, avec des managers qui décident de tout, qui savent tout souvent, etc, ils touchent des limites tout le temps dans le monde d’aujourd’hui. Donc, ils sentent de façon un peu intuitive qu’il faut inventer autre chose. Donc, ils se saisissent de ce qui est dans l’air du temps. Ce qui est dans l’air du temps, c’est l’intelligence collective, mais ils ont besoin de faire un chemin pour comprendre que ça ne s’improvise pas et que cette approche nécessite au moins pendant un temps des facilitateurs pour accompagner ça. Peut être que c’est déjà le cas dans certaines entreprises, on arrivera un jour à avoir des managers dont le rôle principal sera de faciliter ce qui se passe dans leurs équipes et plus forcément de les piloter.

Sophie
Moi, j’ai un peu l’impression que justement, cette intelligence collective et la facilitation sont aujourd’hui utilisées, en tout cas dans les multinationales, dans les grands groupes et encore trop peu dans les petites structures, les TP, PME, voire les associations.

Gilles
Les grands groupes ont été assez pionniers en la matière, c’est sûr. Il y a un autre monde qui est également très pionnier dans la matière, c’est le monde associatif autour des questions de transition, d’écologie, etc. Mais aujourd’hui, ça a tendance à se disperser dans l’ensemble du tissu social. Dans des TPE peut être pas, mais moi j’ai mené des missions, mais des moyennes entreprises, des entreprises de 200, 300 personnes, etc, qui aujourd’hui travaillent avec des solutions comme ça, dans des collectivités locales, que ce soit une région, une mairie, une mairie d’une grosse ville ou des structures comme ça, des entreprises, des collectivités locales qui aujourd’hui se préoccupent de ces questions. Comment, par exemple, faire intervenir les citoyens dans les décisions ? Et du coup, comment on fait naître l’intelligence collective et comment on l’anime avec les citoyens ?

Sophie
Quand on vient te voir, est-ce qu’on explique quel est le problème ou plutôt quelles sont ses envies ?

Gilles
Pour résumer ça, parce que c’est extrêmement varié et variable, mais l’envie qui est sous jacente, c’est de faire basculer le fonctionnement habituel qui est top down pour essayer de travailler autrement.

Sophie
Du coup, ils sont déjà conscients de ça quand ils viennent te voir ? Les gens ont cette conscience ?

Gilles
Certains ont un problème. Ils n’ont pas conscience de la solution, mais ils ont un juste problème. Je vais donner un exemple classique. Une entreprise veut déterminer ou a déterminé sa vision, ses valeurs ou des choses comme ça, des trucs qui sont un peu aussi à la mode en ce moment. Et comme d’habitude, ça a été décidé par le comité de direction il y a trois ans et ça fait trois ans qu’ils font des plaquettes, des informations à leurs salariés et qu’en fait, ils n’en font rien. Et tout à coup, ils viennent me voir en disant « Ça ne sert à rien, on n’en fait rien, ce n’est pas habité, ce n’est pas incarné. Comment on peut faire ? » La solution, c’est de renverser. Au lieu que ça parte d’en haut et qu’on essaye de galérer pendant des mois pour le diffuser en bas, l’idée, c’est faisons construire ça par les gens pour qu’ils se l’approprient, par exemple. C’est un exemple parmi d’autres.

Sophie
Les plus grands changements de posture que tu peux voir après quelques cercles de Codéveloppement, tu les placerais où ?

Gilles
Un que j’ai déjà dit tout à l’heure, c’est l’idée de vraiment prendre du recul sur les choses. Deuxième idée, c’est comprendre avant d’agir. Souvent, les gens sont très dans l’action tout de suite. Là, l’idée, c’est de comprendre et comprendre l’humain surtout, alors que la plupart des gens se focalisent tout de suite sur la technique et en vrai, c’est assez mineur ça. Puis, le troisième niveau, on en a parlé pas mal dans le livre, c’est réapprendre peut être à faire confiance. Et dans le livre, on parle de la confiance a priori. Réapprendre à faire confiance, c’est à dire que la confiance, en fait, c’est un investissement. Ce n’est pas un truc qu’on gagne comme on le dit beaucoup dans les entreprises. Il faut faire ses preuves et alors on lui fera confiance. En vrai, ça ne marche pas ça, c’est l’inverse. L’intelligence collective, elle l’oblige à aller investiguer cette question de confiance dans l’autre, celui qui est avec toi autour de la table. Et il faut lui faire confiance, il faut faire confiance au processus, il faut faire confiance au facilitateur. Et du coup, ça creuse des pistes comme ça de façon intéressante.

Sophie
Quand je t’avais écrit là pour t’inviter, moi, c’était une des notions que je n’avais pas forcément conscientisée ou que je n’avais pas mis des mots dessus, mais la confiance a priori, tu en parles dans une des parties du livre, je trouve que c’était vraiment fort. Et qu’en lisant le livre et en réfléchissant, c’est vrai que le process de Codéveloppement, finalement, on doit faire confiance. Et en faisant confiance, il se passe des choses quand même magiques. Enfin peut être pas, mais des choses qui sont vraiment fortes.

Gilles
Oui. Et en fait, c’est extrêmement lié au fonctionnement du cerveau. Le cerveau a besoin qu’on lui fasse confiance a priori, avant même que ça commence. Un gamin, quand il apprend à marcher, les parents lui font confiance quand il apprend, ils lui font confiance avant. Or, je ne sais pas pourquoi (en vrai je sais un peu pourquoi, mais ce n’est pas la question aujourd’hui), mais dans le monde des adultes, pour faire confiance, il faut que les gens fassent leurs preuves et ça crée des pressions extrêmement fortes dans le cerveau qui amènent à des positions qui sont plutôt des positions défensives et peut être même à certains troubles parfois. Alors que quand on comprend ça et qu’on renverse les choses, au contraire, ça va libérer le potentiel, aussi bien les hormones positives que le potentiel des gens. Et du coup, il se passe des trucs absolument magiques. Je pense qu’en effet, l’intelligence collective et le Codéveloppement, permettent vraiment de comprendre les choses. Parce qu’en vivant les choses on les intégre vraiment alors qu’en théorie parfois on ne les comprend pas.

Sophie
Bien sûr. Je te repose cette question des apports même si tu en as cité quand même beaucoup Je pense qu’on a quand même pas mal fait le tour. Est ce qu’il y avait un autre point que tu souhaitais préciser ?

Gilles
Le dernier apport qui est très, très important pour moi dans ce monde est le lâcher prise. On apprend à lâcher prise. Pour des managers, des chefs de projet, plein de gens comme ça, qui ont le sentiment qu’ils doivent tout maîtriser, tout savoir, avoir les solutions pour tout, tout contrôler, décider de tout. En fait, quand on travaille dans des collectifs avec le Codéveloppement, les gens apprennent à lâcher prise. « Oui, je ne suis pas tout seul. D’autres sont là avec moi. Je peux partager ça, partager la prise de responsabilité, partager l’apport de solutions, etc. » Lâcher prise ! Et de nouveau, c’est faire confiance au groupe.

Sophie
C’est clair. On n’a pas trop parlé de la notion d’engagement par rapport au groupe ?

Gilles
Dans le Codéveloppement, oui, il y a un vrai engagement. Ce n’est pas juste pour avoir des petites discussions entre collègues. À la fin de chaque séance, le client annonce au groupe ce sur quoi il s’engage. Quand justement, dans cette idée de « On fait plusieurs séquences », la séquence suivante s’ouvre avec des feedbacks sur qu’est ce qu’il a mis en place, comment ça se passe, etc. Et on y revient de séances en séances. Donc, il y a vraiment cette notion de « je m’engage par rapport au groupe et je suis dans l’action ». Le Codéveloppement, c’est un truc qui est branché sur la vraie vie, ce n’est pas un truc théorique.

Sophie
Est ce que tu avais quelques anecdotes ou missions un peu plus concrètes ? Je ne sais pas, une histoire de la Codéveloppement, est ce qu’il y a des choses qui te reviennent ? Tu fais ça dans le livre, alors je me posais la question.
Est ce que tu en as un en tête ou pas ?

Gilles
Moi, ce qui me sidère toujours, c’est l’incroyable productivité de ces séances. C’est peut être pas une anecdote, mais je crois que j’en suis à plus de 350 séances facilitées et je continue à être incroyablement étonné. En deux heures, sur un problème, les gens repartent avec 40, 50 solutions parfois et je défie quiconque de faire une discussion ou une réunion où il y a 50 solutions qui sont posées sur la table. Ça n’arrive jamais. Pour moi, ma pépite, c’est celle là, c’est l’incroyable productivité d’un groupe pour peu qu’il soit mis dans des bonnes conditions, bien facilité, etc.

Sophie
Est-ce que tu parles dans ce cas là de créativité ? Oui, bien sûr. Ça me semble que tu ne disais pas trop, je trouve, mais est ce que c’est de la créativité ou est ce que pour vous, c’est autre chose ?

Gilles
En fait, ça libère la créativité des gens. Et l’intelligence collective a une grande vertu sur la créativité. On dit qu’elle ouvre des portes, c’est à dire que l’idée de l’un va ouvrir une petite porte, va générer l’idée du 2ème, etc, ce qui n’arrive non plus jamais quand on est tout seul. On a sa petite idée, on va en avoir trois ou 4 et puis ça va s’arrêter. Alors qu’en intelligence collective, la productivité, elle est incroyablement plus élevée, parce qu’il y a aussi cette émulation entre tous les participants.

Sophie
Dans des process d’innovation, est ce que le code développement est adapté ? Si oui, pourquoi ? Sinon, est ce qu’il y a une autre technique d’intelligence collective qui te paraît plus adaptée ?

Gilles
J’utilise pas mal de techniques différentes d’intelligence collective. Le Codéveloppement, l’innovation, oui, pourquoi pas. Oui, là, récemment, je n’ai pas réalisé de mission dans ce sens. J’ai, par contre, utilisé le Codéveloppement autour du management de l’innovation. Voilà, mais il y a plein d’autres solutions aussi. Là, je viens de me former à des techniques encore plus pointues et profondes, mais qui sont un petit peu originales, qui sont les techniques d’intelligence collective générative, où on va faire travailler des gens, mais presque dans un état proche de l’hypnose. Du coup, on va encore plus réduire la place de l’ego, qui est un vrai frein à l’intelligence collective. Plus cette place est réduite, plus les participants sont créatifs, par exemple.

Sophie
Quand tu présentes ça à un manager, justement, tu lui parles d’hypnose, je pense qu’il y a quand même une image encore où ça doit faire sourire ou ça doit faire un peu « Il est un peu perché, le type ». Comment tu présentes ça ?

Gilles
Bien sûr, il y a encore beaucoup de ça. L’entreprise, c’est encore un monde où on est très rationnel, etc. Parfois, ce n’est pas adapté, mais en général, on ressent si on peut proposer ça ou pas. Parfois, c’est un chemin. On a commencé avec des techniques un peu plus classiques, etc. Et puis, en testant un peu la puissance des outils, la confiance s’installe de plus en plus (parce que, malheureusement, on est toujours dans cette confiance gagnée, , et pas cette confiance faite a priori). Et du coup, il y a des portes qui s’ouvrent pour aller montrer ou tester d’autres choses. Mais évidemment, il y a encore du chemin. Même si l’intelligence collective est à la mode, on est au tout début. On est au tout début parce qu’en fait, le vrai développement de tout ça, ça a une dizaine d’années.

Sophie
Je pense qu’on est dans un moment où les choses peuvent changer en bien ou en mal. J’espère que les choses changeront en bien et que l’intelligence collective permettra d’aller vers un chemin qui transforme.

Gilles
Par rapport à tes mots, personnellement, je n’ai pas de doute sur le fait que ça changera parce que les contraintes du monde feront que ça va aller en ce sens. C’est une obligation. La seule chose, c’est que les gens ne sont pas outillés pour ça. Leurs références, leurs techniques, ce qu’ils ont appris à l’école, etc, c’est très différent. Ils ont appris des techniques de base, de management, de pilotage, à prendre des décisions « simples ». Aujourd’hui encore, dans les écoles de management, quand on va voir l’enseignement qui est fait, il est extrêmement classique. Ils sentent la complexité du monde, mais ils n’ont pas les outils. On est dans cette phase là et donc ils découvrent petit à petit des outils par des tests, des tentatives, etc. Évidemment, ça va changer parce qu’il n’y aura pas le choix..

Sophie
Est-ce que quelqu’un qui nous écoute et qui se dit « Tiens, ça m’intéresse. C’est vrai que j’ai des problématiques de management. Pour autant, je ne suis pas encore au moment où je vais faire de l’hypnose ». Pour lui, est ce qu’il y a une étape numéro 1 pour lui qui souhaiterait s’intéresser ? Pour moi ?

Gilles
L’étape numéro 1, comme tu le disais avant toi même, c’est de vivre quelque chose en intelligence collective. Vive une séance, que ce soit en Codéveloppement, en Appreciative Inquiry ou d’autres techniques. Vivre quelque chose, quitte à, pour l’instant, ne pas s’engager sur le long terme, etc, et voir, regarder et ressentir ce qui se passe. Écouter ce que disent les gens de ça et les participants.

Sophie
Ce que j’entends, c’est qu’on peut le faire pour soi, c’est ça ? J’imagine, je suis manager, je me pose des questions, je vais vivre une séance, aujourd’hui, pas forcément pour répondre aux problématiques de ma société ou de mon équipe, mais aussi pour moi, commencer à vivre ça.

Gilles
Oui. Ou décider de faire vivre une séance à son équipe et puis après, d’écouter son équipe et de dire « Qu’est ce qui s’est passé pour vous ? Comment vous avez vécu ça ? Qu’est ce que vous avez appris ? » Des fois, c’est comme ça. Ça se passe souvent comme ça, d’ailleurs.

Sophie
Super. C’est vrai que faire vivre, je pense, c’est une belle réponse. Je te remercie. J’ai fait à peu près le tour des questionnements que j’avais envie de te poser, de creuser avec toi. Est ce que tu as des choses que tu souhaiterais rajouter ? J’ai trois petites questions que je pose à tous les invités qui sont plus globales ou générales.

Gilles
Comme dit, l’intelligence collective, c’est un beau voyage et comme les voyages, ça ne se raconte pas dans les livres. Le voyage il faut le faire, le vivre. Il faut faire un petit voyage, peut être pour commencer, puis ça donne peut être le goût d’aller plus loin la prochaine fois.

Sophie
Super. C’est une belle conclusion, mais je n’ai pas m’arrêter là dessus. Je voulais savoir si tu avais un livre ou une autre ressource, ça peut être autre chose qu’un livre que tu recommanderais à nos auditeurs qui, toi, t’as marqué. Ça peut être aussi sur autre chose qu’un audience collectif.

Gilles
Des livres qui m’ont marqué, il y en a beaucoup. Pour aider les auditeurs du podcast peut être à comprendre, il y a un livre que j’ai trouvé vraiment intéressant par rapport à ces questions et pourtant, à priori, il ne parle pas de ça. C’est un livre de Pablo Servigne qui s’appelle « L’entraide, l’autre loi de la jungle ». En fait, il démonte dans ce livre un concept qu’on a tous appris « la loi du plus fort », cette loi qui dit qu’il faut être le meilleur. Et en fait, il montre que ce n’est pas comme ça dans la nature. L’entraide, elle est largement plus majoritaire que la compétition. Et je trouve que c’est une belle métaphore de ce que c’est l’intelligence collective. Et ce livre, il est très intéressant pour ça, parce qu’il ouvre des tas de perspectives intéressantes.

Sophie
Je mettrai des liens quelque part, mon lien à toi et aussi des liens des différentes ressources qu’on cite. J’ai une autre question qui est plus sur la notion de valeur et je me pose la question aussi pour moi, mais du coup, je la pose aussi aux gens. C’est la valeur centrale qui te porte, si tu avais une comme ça où tu dis « C’est celle là un peu mon mantra, ma valeur centrale »

Gilles
Je ne sais pas si c’est une valeur, je pense que oui, mais ça peut paraître bizarre. Mais j’ai commencé l’écriture dans le livre sur cette question autour d’un petit mot : le mot ET
ET opposé à OU ? Parce qu’en fait, je suis intimement persuadé que nous vivons dans un monde de « OU ». OU cette solution OU celle là ? OU cette personne OU celle là ? OU ce choix OU celui là ?
Et je pense qu’ il nous faut changer pour passer dans un monde de « ET ». ET cette personne ET celle-là, ET cette solution, ET celle-là.
Il nous faut arrêter de couper les trucs en petites tranches, juste parce que ça nous donne un peu plus de confort. En effet, le « ET » est parfois inconfortable, parce que peut être on n’y est pas habitué, parce que c’est moins clair, mais dans le « ET », il y a vraiment des pistes extrêmement intéressantes.

Sophie
Tu écris un livre, c’est ça que tu viens de dire ?

Gilles
J’ai commencé l’écriture d’un livre sur cette question parce que cette histoire de «ET », ça traverse toute la société et notre monde.

Sophie
Est ce que tu as déjà une date souhaitée pour toi que tu peux nous donner ? ou pas du tout de sortie prévue ?

Gilles
Je ne préfère pas la donner pour l’instant. J’espère que peut être une parution en 2021, si j’y arrive.

Sophie
Si jamais le podcast existe toujours, je serais contente de ta visite. J’ai une dernière question. Je ne sais pas si je vais la garder tout le temps, mais on va essayer. Est ce que tu as une définition courte ou la meilleure définition de l’intelligence collective ? Quelque chose de percutant, de court. Il y en a.

Gilles
Plein qui existent. Il y en a le 1 + 1 = 3, par exemple, qui est une image, mais qui est intéressante. L’intelligence collective, c’est le « ET ». C’est arrêter de penser que je suis la meilleure solution à un problème. Pour moi, l’intelligence collective, c’est « ET ».

Sophie
Génial, merci. Pour finir, est ce que tu peux nous dire où est ce qu’on peut te retrouver ?

Gilles
Le plus simple, c’est sur LinkedIn. On me trouve plus facilement, on peut entrer en contact avec moi très facilement par ce biais là.

Sophie
Du coup, ton nom c’est GILLES SCHACHERER.

Gilles
C’est parfait, c’est bien ça.

Sophie
Merci beaucoup pour ce temps. Je vais arrêter l’enregistrement et merci. Ça y est, c’est fini. C’est la fin de mon premier épisode. J’espère que cet entretien avec Gilles vous a plu et que vous repartez avec des réponses, mais aussi des questionnements. Tout n’était pas parfait. J’ai encore quelques trucs à apprendre au niveau du son et du montage, mais c’est en faisant qu’on apprend, n’est ce pas ? En tout cas, si ce premier entretien vous a plu et que vous avez envie de me donner un coup de pouce, un avis cinq et huit étoiles sur votre plateforme préférée me sera d’une grande aide pour garder le cap et vous proposer les meilleurs épisodes possibles.
D’avance, un grand merci et à très, très vite.